Rêveries 6 : Petit roman des blessures du temps (suite)
6ème Stade : Après les éléments physiques, les animaux puis la nature végétale, le fait de la civilisation est un passage où l’homme rend esclave l’homme lui-même. Les aspects indissociables des civilisations sont : les classes dominantes et dominées, la notion de territoire et de richesse, les guerres qui en découlent, les mythologies fédératrices. Au long des dix millénaires précédant notre ère, l’homme sédentaire a créé de premiers villages, puis de premières cités basés autour de la domestication de l’eau. Le mode de vie Néolithique a logiquement concentré la culture et l’élevage autour des points d’eau naturels et sur les terres fertiles (le Tigre et l’Euphrate, le Nil, l’Indus, le Fleuve Jaune). Les conditions qui ont produit le phénomène de civilisation est comparable à l'écosystème d’un ”bassin versant” qui concentre la diversité des matériau transportés par l’eau en de riches sols et qui accélère la diversité des milieux vivants vers l’aval des fleuves. De même, les déplacements humains vers les vallées, attirés par les ressources, par vagues successives, violentes ou non, ont enrichi l’esprit humain par des empilements de cultures contrastées. La vie prend les mêmes routes. Les peuples ont résisté aux assauts d’autres peuples en se structurant selon des logiques guerrières. Ce sont les ennemis qui ont généré l’édification de structures sociales pyramidales. Faire front en se structurant davantage pour coordonner les réactivités. Les civilisations ressemblent à des organismes naturels issus de la nécessité pour l’homme de se protéger de l’homme devenu un fléau. Sur des continents où les conditions sont régies par des frontières naturelles, l’humanité semble s’être divisée en deux genres culturelles, les sédentaires travaillant le sol à l’origine des civilisations, puis les barbares nomades s’emparant les produits des hommes.
Par les techniques du commerce et de la guerre, les limites économiques des bassins fertiles et la démographie croissante, on poussé les civilisés à trouver vers l’exterieur, de nouvelles possibilités d’apports.
Les civilisations sont des ”êtres vivants” d’un genre nouveaux, constituées d’humains devenus ”céllules”, d’un ”corps” maintenu par des tyrannies plus ou moins avouées ou par des histoires racontées, afin d’assujetir les individus, afin qu’ils jouent le rôle de simples briques constitutives d’un organisme géant. Les foules en soumission ont fabriqué des personnages centraux qui ont résister ou non aux pires dérapages de leurs égos et aux pires convoitises de leurs proches sujets.
Il a fallu du temps, et du temps encore, pour que l’accomplissement des ensembles collectifs soit aussi au service des éléments les plus petits. Je me suis aussi interrogé sur la naissance des grandes religions qui ressemblent à des insurrections constructives, avec les outils de la pensée d’alors, contre les murs écrasants des conditions nouvelles que l’homme s’est infligé à lui même.
Le 7ème Stade que nous vivons est-il celui grandissant de la mondialisation, que j’imagine émerger au XVème siècle, à l’époque des grandes découvertes. Comment imaginer à l’avance les continuités des prochaines transformations ? La fin de l’ère des civilisations, donc peut-être la fin des classes, des guerres et des mythologies ? Un autre fantasme ?
Retour au “5ème Stade “ : En rendant tout d’abord l’animal esclave, l’homme chasseur a perdu sa liberté et a connu le travail (nourrir l’animal). En modifiant la nature, il s’est modifié lui même. Mais il a éprouvé une distance d’avec l’état naturel et donc une distance sur sa propre vie. Plongé dans sa vie sauvage, comment notre grand-père prédateur pouvait-il éprouver une lecture de sa propre condition, sinon par la magie de la distance, d’un début de vie artificiel. La peinture rupestre animalière est-elle une expression de culpabilité inconsciente sur sa vie naturelle perdue, son paradis? L’artiste des cavernes aurait-il mesuré le poids de la contre-partie. Les arts ressemblent à un exorcisme, cette peine au profond de nous : La sortie de l’insouciance au profit de la connaissance, la faute originelle.
L’acte créateur ou fondateur commence-t’il toujours par un drame, une part obligée à sacrifier, à la fois “route” et à la fois “remord”, à la fois “faute” et à la fois “promesse”. Ce petit roman imaginaire pourrait-il résoudre en partie, ce qui reste pour moi le mystère clef de l’humain, cette idée de “sacrifice” qui partout le suit terriblement. En sacrifiant l’animal, l’homme s’est-il sacrifié lui même ? Mon idée de “blessures = dessin” a--t-elle une filiation avec l’idée de sacrifice ? La cicatrice (ou l’holocauste) est-elle un événement entre le passé et l’avenir, capable de modifier symboliquement le cours des évènements ? Cette cicatrice-créatrice a-elle une connotation sexuelle ? Pendant que je crois rêver sur le sujet des premiers humains, peut-être suis-je en train de plonger dans un inconscient trop personnel ?