Dans la rue et les trains, en pleine nature, dans un bar ou sur la plage, pas une occasion ne manque, j’emporte dans ma poche de quoi dessiner. Rien de bien sophistiqué ; un crayon à papier coupé en deux et un carnet de dessin. C’est le soir à la maison que je redécouvre les produits de ma cueillette. J’arrache de la reliure les plus plaisants afin de les collectionner à l’abri dans des cahiers en pochettes plastique. À nouveau, encore longtemps après, je les compare avec les plus récents et poursuis sans fin le tri. C’est disons, comme un jeu...
Tout d’abord, il y a les croquis qui sont inachevés. Le model s’est par exemple enfui trop vite. Il s’en trouve d’autres qui bien qu’aboutis sont d’évidence franchement ratés. Il y a aussi les dessins “trop bien réussis”, c’est à dire trop “habiles” ou trop laborieux. Ils sont détruits eux aussi, à l’exception de tous ceux, sans doute épargnés par trop de complaisance. Cela me rappelle les parties de cartes où la plus petite valeur (l’as) l’emporte sur la plus puissante. Car peut-on aimer les images qui semblent nous dire : “ regarde moi comme je suis fort, un bon élève”. On se lasse vite de cette sorte de dialogue bien déplaisant. Vous aussi peut être, êtes-vous volontiers attiré par des ouvrages tracés comme par la main d’un ami. Quand bien même l’on parviendrait à s’approcher de cette sorte de communication, il s’agit ensuite de discerner et préserver ces travaux-là. Cela supposerait d’apprendre à reconnaître que l’on fait semblant ou pas. Un jeu qui consiste à être soi-même, le plus “honnête” possible.
La partie est de plus en plus prenante car le résultat n’est jamais satisfaisant. Les reproches ne manquent pas :
— trop de facilité (des manières, des habitudes, des effets flatteurs et empruntés),
— trop mécanique ou trop mou, trop vide,
— trop de référence facile à un tel ou un tel,
— trop cerné par le contour.
— trop intelligent, puisque moi je suis “un peu con”.
Bref.. Jamais les dessins ne parviennent à inclure tout les “un peu mieux” à la fois :
— celui-ci a plus de mouvement,
— en voici un plus vu par l’intérieur,
— par là le trait forme un alliage avec la lumière du papier,
— celui-là a des vides aussi présents que les pleins,
— ici l’ensemble exprime mieux le rectangle du format,
— les masses sont mieux comparées les unes avec les autres,
— cet autre avec une écriture de la main plus inventive et plus fluide,
— par là plus de profondeur, de densité,
— dans l’autre on reconnaît l’époque où vit celui qui dessine,
— là des histoires un peu mieux racontées, plus d’humour,
— en celui-là, plus d’atmosphère, de rêve, de douceur ou de puissance.
— enfin un qui a plus de sexe, de violence et de rock and roll.
Si seulement dans les prochains il y avait un peu plus de liberté, plus de vie, plus d’humain, plus de ... La liste n’en finit plus, de découverte en rencontre, de s’allonger de nouvelles préférences qui supplantent les précédentes pour des “reconnaissances” qui parfois ne portent pas de nom.
Afin de participer au jeu, effeuillez ce carnet, conservez ce dessin là, détruisez cet autre.
Calméjane Yves — 2003 ©